
Éditions La Contre Allée
Tribu
Extrait :
La nuit nous recouvre. J’aime la nuit. Je me lance dans une ritournelle. Juste entre mes lèvres. Juste pour alléger. J’aime la nuit, j’aime la nuit. Je glisse dans ma voix. Ma ritournelle flotte dans l’air. Tout comme moi. Chanter m’accompagne. J’aime la nuit, j’aime la nuit. Yann ne chante pas. Je remarque qu’il a un couteau à la main. Il s’en sert comme d’un bâton de majorette et je vois bien qu’il se cache de moi pour le faire. Il ne veut pas me montrer son agilité, c’est ça. Ou bien c’est autre chose. Mais je ne m’effraie pas. Un couteau qui tourne, ça ne veut rien dire. C’est un geste d’ennui, une manie de Yann, rien d’autre. Je reprends ma ritournelle tout en restant attentive à la main majorette. J’aime la nuit, j’aime la nuit.
Maintenant Yann s’est blotti sous un buisson, roulé dans la terre. Il ne veut plus sortir. Une boule dans le feuillage. Je lui demande ce qu’il compte faire, mais aucun son ne sort de là-dessous. Alors je lui demande s’il est mort.
– Tu ne vas pas rester toute la nuit dans la terre !
Il s’obstine. Son front est posé contre le sol. Sur sa joue, des brindilles, du gravier, et d’autres matières. Je reste là, disponible, comme on m’a toujours demandé de l’être. Je ne sais pas quoi faire, alors je chante encore. J’aime la nuit, j’aime la nuit, j’aime la nuit…

L’humanité 17 février 2022
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